Bascules, équations et appels en mission

Il s’agit de l’éclipse solaire la plus intense depuis près de 600 ans. Plusieurs heures avant l’événement, j’avais attaché mon appareil photo numérique à ma toute petite lunette astronomique de 4 po. pour me préparer. J’avais déjà commencé à prendre des photos avant que l’éclipse solaire ait commencée, tout simplement pour confirmer les réglages de l'appareil photo. Il fallait tout simplement d’être prêt. Puis, le cauchemar de tout astronome : les cieux se sont couverts de nuages. À quelques minutes du début de l’éclipse solaire, littérairement, des nuages sont apparus, et toutes mes préparations étaient alors en vain. En quelques petites minutes seulement, la lune n’était plus visible. Et bien, il s’agit d’une occurrence régulière pour un astronome ; pourtant, elle ne nous empêche pas - ni symboliquement ni littérairement - de brandir le poing vers les cieux, en criant [traduction] « Il s’agit-là de l’éclipse solaire la plus intense depuis près de 600 ans, et vous n'avez pas pu en faire mieux? »

Recevoir un appel en mission

Comme jeune homme, la chance de servir une mission à temps plein m’a échappée. Alors, lorsque ma femme et moi avons eu la chance de servir, nous avons commencé tout de suite à nous préparer - les soins dentaires, beaucoup de vaccins et, bien sûr, la demande qui contenait de nombreuses pages. Comment est votre santé en général? Parlez-nous de votre service passé. Et de votre héritage. Quels sont vos loisirs? N’oubliez pas de nous suggérer quelques endroits où vous aimeriez servir. N’oubliez pas de cocher toutes les cases. Nous avons fait tout cela, puis nous avons attendu.

Lorsque nous avons reçu notre appel, nous avons ouvert la lettre avec enthousiasme, en compagnie de quelques-uns de nos amis proches. Il s’agit de la même lettre que des milliers de missionnaires avaient reçue, comme nous.

« Vous êtes appelé(e), par la présente, à servir comme missionnaire de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours. Vous êtes affecté(e) à la mission de… »

Je lisais la lettre, avec ma femme à côté de moi, mais quand je suis rendu à la partie suivante, je ne pouvais plus la lire. Je suis tout simplement resté là, à regarder la lettre. Enfin, ma femme a pris la lettre de ma main. Mais, elle est simplement restée là, assise comme moi. Nous avons été appelés à la mission de Varsovie (Pologne).

Les ancêtres de ma femme viennent de la Chine; les miens viennent de l’Angleterre. Ma femme parle cantonnais et un peu français ; je parle anglais seulement. Nous avons discuté ce que nous ferions si nous aurions été appelés à un pays autre que les trois pays que nous avons notés, soit l’Angleterre, la France et le Canada [de l’est], mais il n’y a rien - rien du tout - qui aurait pu nous préparer pour la Pologne. Je veux dire rien, sauf notre foi et notre désir de servir. Si je me rappelle bien, nous avons eu 24 heures pour accepter ou pour refuser l’appel. Les nuages sont apparus et nous vivons dans l’ombre.

Nous avons tous eu la possibilité de connaître les deux côtés de la médaille. Il s’agit peut-être d’une aventure comme apprendre à conduire en Angleterre [eh bien, pas vraiment]. D’autres expériences auraient été stressantes, ou même amusantes. Équilibrer les équations chimiques et algébriques dans les classes secondaires ou équilibrer les deux côtés d’une bascule dans le terrain de jeux de l’école viennent peut-être à l’esprit. Si vous avez eu l’occasion d’enseigner comme adulte, vous souhaitez peut-être retourner dans le passé pour dire quelques aimables paroles à M. Brown, votre professeur de maths en 10e année. Certains d’entre vous vous rappelez, par exemple, le moment où vous avez appris que vos parents ne sont pas des êtres parfaits que vous avez imaginés ou quand votre meilleur ami pour la vie est devenu votre ennemi public no. 1.

Qu’il s’agit d’un enfant, d’un parent, d’un enseignant, d’un ami, d’un ennemi, d’un jeune ou d’un plus âgé, une recherche de quelques secondes seulement dans Google vous sortira de nombreux fait et opinions sur le moment où nous sommes capables de voir les deux côtés de la médaille.

Notre mission

Ma chère épouse et moi nous étions préparés pour notre mission, avec l’idée de tout ce que nous avions eu de bien à y contribuer. Nos passions, notre héritage, nos compétences, nos langues et nos préférences. Puis, tout d’un coup, tout cela avait été mis de côté. Nous avons dû regarder notre expérience en mission non pas de notre point de vue, mais plutôt du point de vue du Seigneur. Un appel en Pologne n’était pas du tout ce que nous aurions envisagé, mais il est clair que nous avions eu l’autre côté de la médaille à considérer. Que fallait-il faire, alors? Et bien, nous avons décidé de quitter ne mission.

Nous sommes arrivés au centre de formation des missionnaires, à Provo (Utah), sans grande pompe et totalement inattendus. Il était plutôt question de « Que faites-vous ici? Les couples d’âge mur viennent seulement le mardi ». Ils ont vérifié nos documents, ce qui a confirmé que nous sommes arrivés à la bonne date, mais c’était, en vérité, la mauvaise date qui était indiquée sur les documents. Ainsi eut commencé notre mission. À Francfort, les responsables nous ont presque empêché de continuer notre voyage vers la Pologne. Où sont nos cartes de résident? nous demandent-ils. « Oui », expliquons-nous, « nous sommes au courant des cartes de résident, mais on nous a dit que nous le recevrons quand nous y arriverons ». Et ainsi de suite...pendant les 18 mois qui suivraient.

Ce n’est toujours pas facile, et certainement pas évident de voir et de comprendre comment les événements que nous avons témoigné dans notre vie - bons ou mauvais - sont étroitement liées et simples. Pour citer C. S. Lewis, [traduction] « Nous vivons à l'ombre » (Roger Lancelyn Green et Walter Hooper, C.S. Lewis: A Biography [1974], 308). Pour ma femme et moi, notre expérience s’est traduite par notre mission, qui a commencé en Pologne et a terminé dans la mission de Canada Winnipeg. En Pologne, nous avons servi dans une ville de plus de 600 000 milles personnes ; au Canada, nous avons servi dans un petit village de moins de 8 000 habitants. Dans les deux cas, les branches de notre église étaient toutes petites. Nous n’étions que huit membres dans la petite branche de Fort Frances. En Pologne, nous avons servi dans deux branches, à environ une heure de route l’une de l’autre. Le service de culte, en polonais, durait de trois heures dans les deux cas. Dans certains cas, on nous chuchotait des petites traductions ici et là. Mais souvent, il n’y en avait pas du tout.

Vous voyez alors que lorsque ma femme et moi avions terminé notre mission dans une petite communauté frontalière, nous avons observé notre expérience missionnaire des deux côtés de la médaille. Ce n’était pas du tout l'expérience que nous avions prévu au départ et, en conséquence, nous avons médité, espéré, prié et attendu beaucoup plus que nous n’aurions jamais pu imaginer. Nous avons œuvré fort, bien sûr, mais c'est le côté que nous avons anticipé.

Je ne crois pas du tout que Dieu nous tient toujours par la main. Ou que chaque fois que nous tournons à gauche et que chaque route que nous suivons est forcément la bonne voie à suivre. Nous sommes ici pour acquérir de l'expérience, et l'expérience, vous le savez tous, pourrait être parfois brutale. Cela dit, l’expérience n’est pas impitoyable. Je ne crois pas non plus, par exemple, que Dieu nous voit comme des marionnettes qui sont tirés par les cordes, je ne crois pas non plus qu’Il nous observe tout simplement lorsque nous marchons sur la corde raide, en rigolant au fur et à mesure que la corde brise peu à peu.

Aussi difficile qu’il ne soit, je ne crois pas que c’est à nous de juger si une nuit sombre et nuageuse est bonne ou mauvaise. De telles décisions pourraient prendre une éternité, et certaines en prennent, en fait. Nous pouvons tous retourner vers le passé et réfléchir sur des nuits froides et sombres que nous avons connues; des nuits où nous n’avons vu que les nuages quand nous cherchions la lune. Et, il est possible que nous ayons brandi le poing vers les cieux. Il est clair qu’il y a des moments où nous aurions préféré apprendre une différente leçon dans la vie. Mais, nous n’aurions pas vécu l’expérience en question. Il est possible qu’un Dieu bien-aimé préfère nous montrer les deux côtés de la médaille.