Chaque année, le 11 novembre, j’ai l’occasion de déposer une couronne au cénotaphe de Cardston, en Alberta, pour rendre hommage à mon père, tué pendant la bataille d’Orlona, en Italie, le 13 février 1944. Je n’avais qu’un an et 10 mois lorsque ma mère a reçu un télégramme du ministère de la Guerre l’informant que le sergent Alvin MaxMillian Bunnage avait été tué au combat.
Quatre jours plus tard, elle reçut un deuxième télégramme modifiant son statut en « porté disparu présumé mort ». Il est douloureux d’imaginer ce qu’elle a dû passer au travers, en apprenant la nouvelle et en reprenant espoir, pour être anéantie plus tard en 1945 lorsqu’elle reçut une lettre du lieutenant V.C. Moore, le commandant du peloton. Il expliquait qu’il était avec mon père après qu’une explosion d’un obus de mortier l’ait frappé en cette nuit fatidique. La lettre disait : « Al et moi avons été touchés à peu près au même moment. Il m’a été signalé comme mort. J’ai ordonné au peloton de se retirer, ce qu’ils ont fait, emmenant les blessés avec eux, y compris nos secouristes… Mes efforts pour faire passer Al ont échoué – les premières chances n’étaient pas très bonnes. Je ne pense pas qu’il ait trop souffert, car il avait été assommé par l’explosion d’un obus de mortier et, lorsqu’il a repris connaissance, son corps était encore engourdi. Il est parti tranquillement, sa main dans la mienne, alors que nous étions allongés sous les étoiles, sans se plaindre, il m’a juste dit : « Je ne peux pas continuer, monsieur ». [1]
La tristesse de ma mère n’avait pas de limite
J’ai eu de nombreuses années pour comprendre la profondeur de la tristesse que ma mère a dû éprouver pendant ces jours sombres. J’en suis arrivé à la conclusion qu’elle n’aurait pas réussi à passer au travers sans le soutien et l’amour de sa famille, à la fois immédiate et élargie, et sans l’influence sanctifiante de notre Sauveur. J’ai fait l’expérience à maintes reprises de la paix qu’il avait promis de nous laisser. « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Je ne vous la donne pas comme le monde la donne. Que votre cœur ne se trouble pas, et ne s’alarme pas » [2]Ma mère comptait sur ce soutien, et le Sauveur ne nous a jamais déçus.
À plusieurs reprises, alors que je devenais adulte, j’entendais les sanglots silencieux de ma mère dans la pièce voisine, espérant qu’un jour la porte s’ouvrirait et que son bien-aimé Al se tiendrait là devant elle. Évidemment, cela n’est jamais arrivé. Je crois que ma mère a finalement pu mettre un terme à ses angoisses, lorsque nous sommes allés tous les deux en Europe pour voir mon frère qui servait dans le commandement de l’OTAN en Allemagne. Il avait une petite, et je dis bien très petite, Austin Healy Sprite, et nous nous sommes entassés dans sa petite voiture pour aller visiter la pierre tombale de mon père au cimetière de guerre canadien de Moro à Ortona, en Italie.
Le réconfort arrive enfin
Alors que nous nous tenions devant sa pierre tombale, nous avons lu l’inscription : « Sergent AM Bunnage, Seaforth Highlanders of Canada, décédé le 13 février 1944, à l’âge de 27 ans, à la mémoire du mari de Fay et père de Barry et Blaine » * Note de la traductrice (The Seaforth Highlanders of Canada forment le régiment d’infanterie de la Réserve, basé à Vancouver, Colombie-Britannique, il n’y a pas de traduction française pour ce nom; les régiments d’infanterie gardent toujours leurs noms anglais)*. Cela eut un impact profond sur moi, me faisant prendre conscience que j’avais vraiment un père, même si maman avait gardé son souvenir très vivant pendant que nous grandissions. En voyant cette pierre tombale et en se tenant aux côtés de son mari, ma mère a pu en quelque sorte goûter à l’amour du Sauveur, lui procurant cette paix guérisseuse qu’il avait promise. À partir de ce moment-là, je pense que maman a pu lâcher prise.
Après la mort de papa, maman a rassemblé ses poussins et nous a enseigné les leçons de la vie et l’évangile de Jésus-Christ.
Nous allions fidèlement à l’église et chaque soir, elle était à notre chevet pour s’assurer que nous remerciions notre Père céleste pour la grande bénédiction d’avoir un papa héros. En grandissant, j’ai répété cette prière, mais j’ai aussi ajouté des remerciements sincères pour ma mère héroïque. J’ai toujours été un membre fidèle de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, principalement parce que maman a posé les bases en nous guidant dans cette direction.
La foi d’un père a un impact éternel
L’influence de mon père s’est également fait ressentir, car nous avons reçu de nombreuses lettres de lui. Je me souviens très bien de l’une d’elle, qui est arrivée juste avant qu’il ne soit envoyé de l’Afrique du Nord où il s’entraînait pour se rendre sur les champs de bataille en Italie. Il disait à ma mère qu’il emportait ses Écritures avec lui au combat, car elles lui offraient une double protection. La première était de lui permettre de lire pendant les moments de silence, ce qui lui permettait de se rapprocher de son Dieu. La seconde, les avoir dans la poche supérieure de son habit, lui offrait une protection physique volumineuse sur son cœur. Quel impact puissant cela a eu sur ce garçon en pleine croissance, car je savais que l’Évangile de Jésus-Christ était au premier plan de ses pensées !
Alors que mon père était envoyé d’Afrique du Nord en Italie, sa dernière lettre à la maison était très poignante : « Eh bien, à moins que vous n’ayez de mes nouvelles, sachez que je suis en sécurité. » [3] Il s’est avéré que cette sécurité ne serait pas dans nos bras, mais auprès de son Père céleste.
Je suis tellement reconnaissant envers un père qui a sacrifié sa vie pour que son épouse et ses fils puissent profiter des bénédictions d’un pays libre. Je suis reconnaissant envers une mère qui a gardé un foyer centré sur l’Évangile pour que ses deux garçons puissent s’épanouir. Elle nous a appris que l’Évangile de Jésus-Christ et notre famille étaient les bénédictions les plus importantes qui nous étaient données et que nous devrions toujours honorer sa mémoire en considérant comme sacrées les choses mêmes qui lui tenaient à cœur.
An unexpected miracle
En guise de post-scriptum, je tiens à souligner que mon frère Barry a reçu en 2000 un courriel des Anciens Combattants du Canada l’informant qu’ils avaient reçu de la Grande-Bretagne les effets personnels de 28 soldats canadiens tués lors de la bataille d’Ortona. L’un de ces 28 soldats était mon père, et qu’ils enverraient les objets à Barry, le membre le plus âgé de la famille de sergent Bunnage. Nous avons attendu avec impatience leur arrivée et, lorsqu’ils sont arrivés, ils comprenaient un livret de service et de solde, ses plaques d’identité, une médaille de Saint-Christophe et un livret de vêtements. Sur la couverture du livret de service il y avait une photo collée de ma mère et par-dessus cette photo, collés avec du diachylon des photos de mon frère et moi. Ces effets ont été découverts dans un coffre-fort à Moscou, en Russie, et y avaient été placés il y avait de cela 56 ans. Nous avons d’abord pensé que les Allemands les avaient pris à mon père après son décès et les avaient envoyés à Berlin, mais lorsque les Russes ont pris Berlin, ils ont ramené les effets à Moscou. Plus tard, nous avons découvert que les Allemands ne les avaient pas retirés du corps de mon père, mais du lieutenant Moore lorsqu’il avait été capturé cette même nuit. La dernière partie de la lette du lieutenant Moore à ma mère expliquait : « J’ai pris les effets personnels que le sergent Bunnage avait avec lui pour pouvoir les transmettre à sa famille. Malheureusement, j’avais été blessé par le même tir d’obus de mortier et les Allemands m’ont capturé, emportant tous ses effets personnels. » [4]
Footnotes:
1 Roots and Branches Vol. 2 p. 63
3 Roots and Branches Vol. 2 p.64
4 Roots and Branches Vol. 2p. 225